Du fond du coeur

Ma mère l’institutrice est partie un mercredi par une très belle journée ensoleillée de juin. Calme. Tranquille. Tout est bien. C’est ce que je lui disais quand j’allais lui souhaiter une bonne nuit à l’hôpital de Lunéville où elle s’est éteinte.
Au départ, je pensais juste reproduire le texte qu’elle affectionnait et qu’elle a lu à de nombreuses cérémonies.
Je ne vais pas le faire. Je ne vais pas faire le coup de la prière de Saint-Augustin. Ce texte qui dit, La mort n’est rien, je suis seulement passée dans la pièce à côté. Je suis moi. Vous êtes vous. Ce que j’étais pour vous, je le suis toujours. La vie signifie tout ce qu’elle a toujours été. Le fil n’est pas coupé. Pourquoi serais-je hors de vos pensées, simplement parce que je suis hors de votre vue. Je ne suis pas loin, juste de l’autre côté du chemin. Elle l’a lu tellement de fois à des obsèques. Non, pas ce texte. A la place, un portrait en 55 lettres. 55 comme la Meuse, sa terre natale qu’elle rejoindra dans quelques jours.

Adieu : cinq lettres.
Amour : cinq lettres.
Je vous aime tous furent de ses dernier mots. Le tous, ici, prend tout son sens. Des mots que je l’ai entendue prononcer pour la première fois à quelques encablures de sa fin de vie. C’était une annonce, une décision, un bilan. Elle l’avait fait. L’air de rien. En artisan du vivre ensemble. En ouvrière de la grande fabrique des Hommes. Je vois défiler des dizaines et des dizaines de lieux, de moments, de personnes, des yeux qui pétillent, une bougie d’anniversaire, des tablées. C’est cadeau, semblait-elle dire. Ah putain, les cadeaux ! Tous ces Noëls, ces nouvel-ans, ces fêtes et anniversaires jamais oubliés, car personne n’était oublié jamais. Sur son agenda, toutes les dates étaient notées. Même celles de ceux qui sont partis avant. Et toi, on avait envie de demander ? Ca va, elle disait. Ça va, elle a dit jusqu’à la fin, autant à nous qu’à elle-même.
Avec cet indice imparable disant l’essentiel : le sourire fossette, les yeux couleur miel qui pétillent.

Maman : cinq lettres.
Fleur : cinq lettres.
Son territoire était la cuisine. Ce n’était pas le territoire d’une femme à l’ancienne, pas un terrier, mais au contraire l’atelier d’une femme moderne, d’une mère nourricière qui a bien compris l’essentiel. C’était un lieu de création et de liberté, un port aussi, d’où elle pilotait son monde et recousait les trémolos. Comme on fait des bouquets de fleurs. Ah putain les fleurs ! Elle les les adorait. Les cultivait. En recevait. Il y en avait toujours. Partout.

Actif : cinq lettres.
Livre : cinq lettres.
Parler d’elle, de sa vie, de ses vies plutôt, c’est dresser le portrait d’une femme qui a toujours été en activité. Même et surtout une fois la retraite venue. Fonctionnaire qui fonctionne !
Une dame de faire, que j’écris ici F A I R E.
L’institutrice est devenue conseillère pédagogique. La retraitée aux 40 voyages est devenue élue locale. Elle a développé ce qui lui tenait à coeur. Dans l’acte mieux que dans le discours. Dans la discrétion mieux que dans l’apparat.
La transmission, l’échange, le partage, la culture, la connaissance, le patrimoine, la valorisation des talents des autres, ceux que l’on met en avant : c’était sa grande affaire. En pensant présent qui façonne l’avenir mieux que présent qui rumine l’hier.
Polie avec le passé, polie avec le présent, polie avec l’avenir : elle était de ceux qui construisent. Constructive. Tant l’institutrice, conseillère pédagogique que l’élue locale ont d’ailleurs laissé derrière elles des bibliothèques. Utiles aux autres. De la nourriture, encore. De l’esprit celle-là. Ah les livres ! Les mots croisés étaient l’un de ses dadas. Les parties de cartes aussi. Le bridge, notamment. Finalement pas étonnant pour quelqu’un qui dressait des ponts entre les uns et les autres.

Monde : cinq lettres.
Coeur : cinq lettres.

Jusqu’au bout, elle a profité de ses proches. Ses amies de cinquante ans, ses enfants et petits-enfants, aimable. Pas de masque de douleur ni de souffrance. Elle a respiré tout cela à fond avant son 41ème voyage. Elle avait arrêté son compteur à 40, arpentant le monde pour se cultiver encore et encore. Chez elle, une chambre a été transformée en musée intime. Des albums photos soigneusement réalisés, annotés.
Le monde, elle y a apporté sa pierre pour tenter de le rendre plus aimable, plus intelligent. Ce fut un beau programme. De la belle ouvrage. Un joli sillon. Alors du fond du coeur, bravo, merci et tchao.

Bravo : cinq lettres.
Merci : cinq lettres.

Tchao : cinq lettres.

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